L’amour ne se reproduit pas
Publié sur internet, juillet 2025.
il y a une cellule
une seule cellule qui pense encore à l’origine de l’amour
et cette cellule est homosexuelle
elle respire avec les organes du langage
elle suce le monde par les bords
elle se laisse écorcher les lèvres par le désir
l’hétérosexualité est une maladie de l’homosexualité
un champignon intérieur
une torsion biologique de l’inconscient
un repli stratégique du fantasme
un emballage génétique au fond d’un carton vide
elle pousse dans l’homosexualité comme une taupe aveugle pousse dans la terre chaude
elle ne sait pas
elle croit savoir
elle détruit pour se faire entendre
je vois les gens
s’aimer à l’envers
procréer pour justifier l’étreinte
éjaculer pour signer un bail social
je les vois courir après la reproduction
comme s’ils cherchaient un duplicata de leur néant
pourtant l’amour c’est autre chose
c’est une opération de langage
c’est un calcul erroné et pourtant exact
c’est une fiction avec une langue dans la bouche
c’est un savoir à deux qui mord l’ombre du réel
je ne comprends pas
je ne comprends jamais
pourquoi tant de gens
et même les gays
et même les autres qui s’essaient à penser
reviennent s’échouer sur l’idée d’un autre par défaut
hétéro comme évidence
comme civisme
comme sauvegarde de la honte
non
le sexuel est homo
il est homo dans le rêve
il est homo dans la blessure
il est homo dans la parole qui touche à l’origine
l’hétéro, elle, c’est un effet de manche
c’est un pli de costume
un rideau social
une rhétorique de survie
on m’a dit
tu es trop dur
tu vas trop loin
tu blesses
mais c’est moi qu’on blesse
c’est moi qu’on ignore quand je parle avec mes tripes
quand j’avance avec mes fantômes
quand je tends mes fantasmes comme des cordes à linge
sur lesquelles on n’étend jamais les leurs
alors oui
je me pervertis doucement
je me courbe dans le langage
je m’accroche à mes dégoûts pour survivre aux dîners
je retourne les phrases dans leur bouche
je leur fais avaler leurs normes
et parfois je hurle en silence
il y a beaucoup trop d’hétérosexuels
beaucoup trop
ils traînent partout
ils débordent
ils pénètrent les mots
ils transforment les intentions en contrats
les baisers en politiques de genre
et chez les gays c’est pire encore
ils sont là à singer le père
à reproduire la violence de la ligne droite
en s’interdisant de bander de travers
Lacan
ah Lacan
tu croyais bien faire
en nommant l’heteros comme altérité radicale
mais tu as oublié que le fantasme est un labyrinthe érotique
et que l’amour homosexuel est la seule sortie possible
la seule
la seule qui n’aboutisse pas à un mur porteur de névrose
et les femmes
oui parlons-en
les femmes hétérosexuelles
ne peuvent pas aimer
dans un monde patriarcal elles sont forcées de choisir
entre castrer ou plaire
entre asservir ou jouir
et souvent
elles échouent sur le bord
dans la fatigue passive-agressive des couples las
des maternités solitaires
des colères rentrées dans la bouche de leur amant
moi
je cherche une issue
je cherche une lumière homo dans le noir des relations
je parle à l’inconscient avec ma queue, ma langue, mes cris
je veux une sexualité sans agenda politique
je veux un amour sans armure
je veux que les mots bandent enfin de vérité
et jouissent dans la bouche de celleux qui savent entendre