POV: VLNQ, un livre de PN (2023)

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POV: VLNQ, un livre de PN

Notes personnelles de lecture

« Jouir n’est pas politiquement vide, mais politiquement insuffisant »

 Pierre Niedergang, Vers la normativité queer, Toulouse, Blast, 2023.

(p. 20).

 

Discrètement, Pierre Niedergang ne parle pas uniquement la langue de la philosophie politique, mais sûrement. Iel pratique aussi, plus loin que la rhétorique, une mise au jour efficace de la valse signifiante en ce qu’elle souligne la nécessité d’un élargissement de la performativité normative des discours queers. C’est un grand plaisir, de parcourir, à nouveaux frais, toutes ces notions mille fois rebattues depuis quarante ans. Si bien que P. N. a bien fait d’écrire ceci.

Comment ne pas apprécier sa proposition contre l’antinormativité réifiante de l’identitaire queer qui ne reconnait pas la matière de son trauma en substance, pour préférer, parfois, combattre l’hétéronormativité en se vautrant dans une customisation bas-de-gamme du pouvoir des mots au profit d’un fantasme de subversision vecteur d’un désir pervers low-coast ? (Il faut bien reconnaître que la perversion, de nos jours, est bien mal défendue par ses souteneurs).

Le vrai, à extraire des corpus étudiés, émerge précisément où P. N. ne tente pas, comme tant d’autres esprits avisé·e·s, de faire dire ce qui l’arrange aux écrits cités dans de belles références, jouissant de l’obscure excuse des translations, sur-mesures, revendiquées au titre des identités oublieuses de leur nature de crise.

Rien de cela ici.

Plutôt de quoi saisir l’écart entre la matrice hétérosexuelle et le fantasme, que je qualifie d’heteros-patriarche, que P. N. aborde par la qualification de la jouissance comme non indicatrice de satisfaction, mais marqueur de l’opération de liquidation du trauma par le sujet de la culture (qui est aussi sujet de l’inconscient).

Ainsi, subversion et perversion divorcent à l’amiable, après de très longues années d’une union douloureuse et aveuglée par l’émoi, pas sans les affects déterminés et déterminants de l’érection de la relation, donc des normes sociales nécessaires à l’absence de toutes normes sexuelles — si l’on s’en tient à l’expérience psychanalytique.

 

C’est amplement suffisant pour inviter et intéresser les psychanalystes, qui pourront y parcourir quelques pistes de réflexions aussi philosophiques que métapsychologiques, en transparence, à propos de ce qui s’impose comme horizon de travail actuellement, que j’aime désigner par : inconscient, lien social et sexuation.

Iel·les peuvent interroger, avec la philosophie, la recherche de particularités versus la singularité et ses conséquences en ambiguïtés artificiellement constituée contre le risque de commun tel qu’il est combattu par certains théoriciens, souvent nés mâles, à qui l’on aimerait faire penser que la perversion a bel et bien abandonné, en rase campagne, l’homosexualité — sans même aller jusqu’au sort du gay qui dépasse l’homosexualité elle-même, la queerité bien sûr, mais aussi la bienséance d’un monde rêvé solidaire.

Iel·les seront surpris·es par l’exposé, brillant et ludique, de la bisexualité sociale ou génitale du sujet « dans la culture », qui s’octroie l’inversion algorithmique du « facteur du biologique faisant roc » cher à Freud, au profit d’une possibilité de traitement du malaise dans la Culture (c’est moi qui fait le lien), qui plante le désir comme premier déterminant (que l’on peut penser situé par la sexuation) conduisant aux difficultés de la constitution du corps tel que sexué par la biologie (et comme elle n’est pas le vivant à elle seule,… y’a de quoi réfléchir).

Occasion d’approfondir, ou d’ouvrir un questionnement renouvelé, ici, et de prolonger le livre à propos de la relation biologie-pouvoir, avec Foucault et Freud (y’a pas que Lacan qui mérite de causer avec). Pour discuter, après-coup, de cette distinction qui insiste : le biologique est un modèle d’inspiration du vivant chez Freud, chez Foucault le biologique est une condition d’asservissement du sujet, ce qui ne veut pas dire que ce ne soit pas un modèle d’inspiration du vivant chez Foucault ou une condition d’asservissement du sujet chez Freud, il se trouve que l’un et l’autre ont appuyé sur deux bords distincts d’une affaire qui est sans doute plus commune qu’elle en a l’air : le biologique comme dépassement de l’anatomo-politique du corps chez Freud et chez Foucault.

La lecture des psychanalystes pourrait s’arrêter sur ces questions.

Mais ce serait manquer quelques considérations, ou chemins d’interrogations là encore, sur le trauma, où P. N. interpelle plus directement la psychanalyse… Jean Laplanche, bien sûr, où se valorise que l’effroi n’est pas un abandon, ni le « consentement » dont le son fait un peu saigner l’oreille après cette lecture, tant le safe ne veut plus croire à ce qu’il a désigné autrefois, à propos du sexe, avant d’indiquer la qualité d’un espace social hors génitalité ou séduction. Safe, comme tout signifiant, ne sait plus qu’il est le reste d’actions passées dont les caractères sexuels ne peuvent être ignorés, et qu’il charrie l’agressivité de toustes et chacune sans la réduire.

Je pourrais conclure cette rapide impression de lecture, temporairement, en ne consolant pas l’auteur devant le diagnostic d’enfer des affres des groupes devant l’espoir de commun. Ce n’est pas l’histoire du milieu psychanalytique qui pourrait prétendre le contraire, vus les nids de poules et autres glissements de terrain qui ponctuent le chemin de l’inconscient lorsqu’il convient de le soumettre à la relation autre que transférentiellement accueillie dans une cure. Certes, « le collectif n’est que le sujet de l’individuel », et cette remarque de Lacan pourrait tout excuser, mais ce n’est pas ainsi, je crois, qu’il l’a ajoutée à son texte sur les prisonniers pour illustrer le temps logique qui intéresse le Sujet. Et ce n’est pas non plus l’espoir de P. N., me semble-t-il, face aux nécessités sociales et politiques, mais aussi psychiques qu’il souligne de la première à la dernière page, de pouvoir participer à quelque chose de plus grand que soi, pour tout·e être-parlant·e : une autre dimension d’un projet collectif à commune visée. Puisque nous savons ce qu’il en est du groupe, et même du groupe constitué par des analysé·e·s, qui n’échappe pas aux risques d’institutionnalisation et sa force de contagion paranoïaque. Mais ceci n’est pas qu’un échec, pour les mouvements intellectuels, pour le milieu psychanalytique puisque cela montre, par l’expérience en cours, comment bien qu’éclairé sur l’inconscient avec quoi il reste possible de se mettre au clair, individuellement, essayer d’en faire profiter l’espace collectif en espoir de commun demeure pavé de bonnes intentions contre la nécessité qui s’impose d’appréhender la transmission dégagée de l’héritage – symptôme résiduel que la culture patriarcale et patrimoniale poursuit d’imposer comme figure et forme à ce qui mériterait d’être appréhender tout autrement : ce que l’expérience de la passe (une expérience plutôt queer, à bien des égards, qui tient en estime la subversion mais ne peut pas se protéger de la perversion) a démontré, mais dont les résultats sont maintenus sous le tapis face aux exigences narcissiques quant au jouirs.

Il y aurait donc, sans doute, et peut-être que ce texte me le fait espérer un peu, de quoi lier des perspectives de travail et d’élaboration, de perlarboration politique qui tiennent compte de l’actualité de la transmission, en ce qu’elle concerne ici les questions queer, les théories queer et leurs effets politiques et sexuels, mais aussi sans doute quelques questions communes avec les impasses de la transmission de la psychanalyse sur les questions relatives à la sexuation, qui situe les corps sexués par la biologie, que la tradition écrase sous le poids de l’identité réifiée, qu’elle soit celle du queer ou du psychanalyste.

Affaire à suivre.

V.B.